Region
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DISTRIBUTION
par ordre d'apparition des personnages
L' accordéoniste ................. Pierre COLAIACOVO
Les chanteuses de rue ..... Tiffany BAWOROWSKI
Julie POTVIN
Les marins.......................... Xavier HUBENS Thibaut HOSTE
Rinaldo SAPORITO
Gianni MARCHETTI
Le pharmacien .................. Guillaume LOSSON
Bets ..................................... Tatiana JOSZ
La patronne du café ......... Pamela DOMINGUEZ
Le notaire Schamp ........... Tanguy FAUCONNIER
L'ombre ............................... Aïda MAKOUBI
Lampernisse ...................... Damien DELEPINE
Jean-Jacques Grandsire .. Maxime BOCKEN
La Griboin ........................... Nawal ERRAHMANI
L'oncle Cassave ................. Charles SPAPENS
Le cousin Philarète ............ Benoît GABRIEL
Charles Dideloo ................... Simon COPPOY
Nancy ................................... Carole WEYERS
Élodie .................................... Floriane DE MUYTER
Le docteur Sambucque ..... Antoine VAN ENIS
Doucedame le jeune ........... Jean-Baptiste LORENT
Éléonore Cormélon ............. Aurélie HARRANG
Rosalie Cormélon ................ Daphné ANSIAUX
Alice Cormélon .................... Emeline FOUYA
Griboin .................................. Serge BIBAUW
Eisengott .............................. Imad BOUJEMAOUI
La tante Sylvie ................... Bénédicte DEKEYSER
Euryale ................................. Mizaëlle de le COURT
Mathias Krook .................... Antoine DUBOIS
Tchiek ................................... Rinaldo SAPORITO
Les filles ............................... Aurélie GUIDOUX
Paméla DOMINGUEZ
Magali CLOBERT
La mère Groulle ............. .... Aurélie HARRANG
Anselme Grandsire ............ Charles SPAPENS
Doucedame-le-vieil ............. Antoine DUBOIS
L'infirmière .......................... Magali CLOBERT
Nicolas Grandsire .............. Guillaume LOSSON
Le frère Morin ..................... Antoine VAN ENIS
Le père Euchère ................. Tanguy FAUCONNIER
Les moines .......................... Antoine DUBOIS
Thibaut HOSTE
Xavier HUBENS
Guillaume LOSSON
Gianni MARCHETTI
Rinaldo SAPORITO
La femme Piekenbot ......... Aurélie GUIDOUX
adaptation et réalisation de
Jean-Claude GEORGES et Jean-Marie WILMART
avec la très précieuse collaboration de
Violaine VANDEN DRIESSCHE et de Jacques VERFAILLE
Un nouveau frisson
Jean-François Wilmart, Jean-Claude Georges et Yvan Daels ont choisi de nous convier à quitter nos chemins traditionnels pour nous rendre à la frontière incertaine du réel et de l'imaginaire. Avec une très large équipe, ils nous invitent, par le biais de l'adaptation théâtrale d'une nouvelle fantastique, à découvrir un auteur belge, Jean Ray.
Convoquer les dieux grecs, provoquer l'intrusion du mystère dans la vie réelle, mélanger le naturel et le surnaturel, tout en donnant au spectateur le fil d'Ariane nécessaire, tel est le défi que comédiens, metteurs en scène, équipes techniques, collaborateurs de talents, ont décidé de relever en ce début du troisième millénaire.
Surgi de l'imaginaire de Jean Ray, Malpertuis va revivre devant vous ce soir. Laissez vos certitudes au vestiaire, acceptez de vous laisser prendre par la magie du fantastique, les frissons et les peurs de votre enfance ... N'hésitez pas à rompre vos liens avec la raison pour déguster les fruits défendus du rêve et explorer l'autre côté du miroir ... N'ayez pas peur, c'est du théâtre, du grand théâtre !
En votre nom à tous, au moment de basculer avec les personnages de Jean Ray dans un univers inconnu contigu au nôtre, je remercie déjà toute l'équipe pour ce nouveau frisson.
Claude Voglet, Directeur.
Ce qui se cache derrière la façade de Malpertuis...
Combien d'histoires et d'aventures ne commencent-elles dans un de ces moments perdus où, attablé devant un verre ou une tasse de café, on se prend parfois à refaire le monde ou à partager plus simplement quelques passions ? Le spectacle que nous vous proposons aujourd'hui est né d'une de ces rencontres, avec Jean-François Wilmart, bien loin de toutes les contraintes pratiques de sa réalisation. L'envie commune de relire "Malpertuis" et de l'adapter pour la scène, sans esprit de défi.
Un tel projet - et tous ceux qui, les années antérieures, en ont été les artisans le savent bien - demande l'adhésion de nombreuses complicités. Sans elles, rien ne peut voir le jour et je voudrais avant tout remercier les professeurs, les parents et les élèves qui ont contribué, d'une façon ou d'une autre, à concrétiser ce projet et tout ce qui l'entoure. Consacrer du temps à ce genre d'activité, à côté de "tout le reste" , ne relève plus aujourd'hui de l' évidence.
Le roman de Jean Ray ne se laisse pas facilement réduire à un simple récit fantastique. Car si l'épouvante et l'inexplicable y sont certes présents, c'est sur un fond métaphysique qu'ils se bâtissent. Frontière entre le monde des dieux déchus, progressivement rejetés hors des préoccupations de l'homme, et l'univers naturel, Malpertuis n'appartient ni à notre temps ni à notre espace. La plupart de ceux qui y vivent n'ont plus que des noms d'emprunt et des corps de fortune : ils sont des apparences... Leur essence est enfermée dans des baudruches dérisoires; leurs mythes, dans des livres qu'on a déjà cessé de lire.
Transposer cette oeuvre sur scène n'était donc pas une mince affaire car il fallait la rendre à la fois lisible et visible ! Garder au récit sa cohérence et tenter d'en rendre l'atmosphère étrange.
Le premier travail demandait une compréhension profonde des personnages et des enjeux qui les réunissent : travail patient d'acteurs souvent néophytes pour créer leurs personnages, travail marqué par autant de questions d'interprétation d'un texte difficile, travail ingrat, avec ses doutes, ses enthousiasmes et ses découragements, commencé très tôt dans l'année, les auditions ayant eu lieu dès le mois de juin dernier. Longtemps, ce fut donc un travail d'aveugles, où les acteurs se sont sentis manipulés comme par un marionnettiste qui se serait caché dans les cintres.
Car le second aspect de notre travail devait dépendre presque exclusivement de supports techniques propres à créer les ambiances et les effets spéciaux que le fantastique exige. Ceux-là n'existent d'abord que dans l'esprit, dans l'imagination qui les projette ou les prévoit. Ils sont des virtualités, gardent une part d'aléatoire jusqu'aux derniers moments.
Parce que la technique a son coût, décors, éclairages, sons, maquillages et costumes n'arrivent que bien plus tard, parfois in extremis - comme la cavalerie des bons vieux westerns - apportant soudain la cohérence, et métamorphosant ce qui pouvait sembler d'abord tellement inconsistant à force d'être répété; rendant enfin palpable sur le plateau l'inquiétante étrangeté qu'un néon de scène a bien du mal à rendre !
De tout cela résulte le spectacle auquel vous allez assister ce soir, pour votre plus grand plaisir, je l'espère.
Jean-Claude Georges
Malpertuis : du roman à la pièce.
Le roman de Jean Ray présente une structure très travaillée : deux parties précédées d'un prologue; cinq narrateurs qui offrent à travers leurs voix un dévoilement progressif.
Il est bien évident qu'il était impossible de respecter à la scène la focalisation à la première personne. Par contre, nous avons maintenu la division bipartite: la pièce comporte deux actes (divisés chacun en plus ou moins six scènes) avec un prologue liminaire. Voilà pour la forme.
A présent, le contenu. Trois noeuds gordiens dans le roman - ils apparaissent également dans la pièce - : un thème métaphysique récurrent chez Jean Ray (les dieux); une problématique propre au fantastique du début vingtième siècle (les univers intercalaires et la quatrième dimension); enfin, un drame de jalousie entre Euryale et Alecta.
Comment orchestrer cela dans une dynamique proprement dramatique ? C'était un défi qui a été relevé grâce à une discipline typiquement monastique. Le lieu d'écriture: un petit gîte à côté de l'abbaye d'Orval. Méditation, promenade, écriture (sur la fumée bleue des cigarettes). Le tout, arrosé de vin: bonum vinum hominis cordem laetificat. Sustentaculum, pâté gaumais. Alors voilà: Jean-Claude dicte; Jean-François écrit. Ou l'inverse. Nous respectons - parfois à la lettre - les phrases du roman. Panne d'écriture ? On part en forêt, on s'arrête dans un petit troquet, et on remet au net.
Le résultat, vous allez l'avoir devant vous. Le plateau présente le lieu central (le salon de Malpertuis, d'où partent des escaliers sans fin; à partir de la scène 4 de l'acte II, le moutier des Pères blancs). Côté jardin, une chambre; côté cour, un café de marins, qui sera transformé en cuisine.
Le prologue de l'acte I a été entièrement inventé. Il fallait créer l'ambiance et présenter la terrible baraque. Un joueur d'accordéon aveugle, deux petites filles à la Dickens: " Ecoutez cette histoire, passants qui regardez! " Et nous voilà dans le bar (Bets y est serveuse; c'est elle qui sait, elle soutiendra Jiji jusqu'au bout).
On annonce la mort de Cassave. Le notaire va évoquer Malpertuis. Puis s'ouvrira la façade.
Regardez de tous vos yeux; laissez-vous charmer par la musique et les lumières.
Bon spectacle !
Jean-François WILMART
Une définition ...
Quand J-F Wilmart, grand admirateur de Jean Ray et adaptateur inspiré de Malpertuis à la scène, m'a demandé de coucher sur papier une définition, ma définition, de la littérature fantastique, j'ai souri in petto - je ne tenais pas à vexer mon savant collègue - tant l'entreprise me semblait tenir de la gageure. Le fantastique, en effet, est multiforme et, véritable Protée, diffère selon les époques et les lieux : les oreilles d'âne que le vieil Ovide, par exemple, fait pousser au roi Midas n'arrachent plus qu'un sourire contraint à nos élèves de latines tout pétris de Lovercraft et de Stephen King. Comme il me fallait cependant satisfaire mon commanditaire et ce dans les temps impartis, j'ai pris finalement la décision de consacrer ce court article aux origines du fantastique occidental.
D'après d'éminents spécialistes, que je ne vous ferai pas l'injure de nommer, le fantastique européen et moderne serait né dans les brumes du Nord, en Allemagne profonde et ce en plein siècle des Lumières. Depuis toujours on connaissait dans ces régions de lacs et de sombres forêts les contes de fées qui tenaient les petits enfants en haleine pendant les longues veillées d'hiver. Leurs héros remontaient à la nuit des temps. Seulement si ces récits qu'habitaient ogres et enchanteurs passionnaient les gosses, quitte à troubler leur sommeil, les adultes, eux, faisaient la fine bouche, renâclaient devant leur fantaisie débridée, même si dans le secret de la nuit ils en reparcouraient les pages jaunies une fois leur progéniture dans les bras de Morphée. Il fallait à tout prix rouvrir le monde de l'imaginaire à ces rêveurs honteux qui ne demandaient d'ailleurs qu'à se laisser forcer la main. N'est-ce-pas Mme du Deffand qui écrivait à une amie: "Je ne crois pas aux fantômes, mais j'en ai peur! " ? C'est à cette besogne que se sont attaqués ceux que certains critiques ont appelés depuis les "fantastiqueurs".
Tout l'art du bon conteur fantastique consistera à enfoncer le dard de l'angoisse à petits coups dans le coeur de son lecteur, de le faire paniquer devant l'ordinaire, le quotidien qui au bout de quelques pages n'est plus tout à fait l'ordinaire ni le quotidien, mais un monde nouveau aux contours estompés et flous en gestation de l'horreur absolue.
Mais... que se passe-t-il ? Ma main se couvre de longs poils noirs et hirsutes. Ma tête, ma pauvre tête : j'ai les os du crâne pris comme dans un étau.
Mon Dieu, la lune est pleine et j'avais oublié.... j'avais oublié l'antique malédiction que depuis des siècles traînent les miens. Il faut que je vous quitte...
Un long hurlement me tord les tripes et monte, lugubre, vers les solives de ma chambre.
Du sang... Il faut que je morde, que je déchire, que je lacère.
L. Bonkain
Donner du sens
Malpertuis est un mystère du sens.
Partons d'une phrase qui est l'une des clés essentielles pour mieux comprendre l'oeuvre de Jean Ray : Les puissances des ténèbres survécurent plus nombreuses grâce à "l'épouvante des hommes plus tenace que la foi".
En effet la littérature est la traduction et la prise de conscience, par le moyen du langage des pulsions de notre nature qui puisent leur énergie dans l'animalité dont nous sortons, Ces pulsions sont en nous, elles chantent ou prient, elles grondent ou menacent.
La plus primitive et la plus puissante est la peur, car elle touche notre identité, la conscience d'être un Moi. L'homme depuis ses origines se fortifie contre la peur, surtout contre la peur de se dissoudre dans le vide. Il a beau se raisonner (raison - normes) « Je pense donc je suis », il sera toujours de chair et d'os. Au fond de lui, il a peur de la « bête », l'être obscur, pétri de violence aveugle ( la nature reprenant ses droits)
Mircea Eliade écrit : « L'épreuve initiatique type est la lutte avec le monstre ». Les monstres figurent les forces de l'inconscient sorties du « vide » universel. La grandeur et l'aspect terrible des monstres ne sont pas autre chose qu'une création transférée de la peur initiatique.
L'exprimer par les mots, c'est s'en libérer (en partie). La peur exprimée ainsi perd de sa force, devient un jeu (de scène ). C'est aussi mettre de l'ordre dans le chaos, le maîtriser et se rassurer. Cette expression par les mots, les images ... ne se base pas sur une dichotomie nette entre deux mondes : l'ici et l'ailleurs. L'effet sera d'autant plus fort que le point de départ sera plus ancré dans notre réalité et qu'il pourra s'identifier à un pur fantasme.
Ainsi l'acte littéraire ou artistique en général est une tentative de maîtriser nos peurs en les regardant en scène et la volonté de comprendre mieux les jeux de l'imaginaire et de la réalité même inconsciente.
Comment trouver du sens ?
Dans l'interprétation d'une oeuvre, une lecture linéaire doit s'ouvrir en expansion . On ne peut fermer le texte, mais au contraire l'ouvrir: c'est le mouvement même du sens. Il n'y a pas de sens unique, parce qu'il y a une expansion du sens: c'est le pluriel du texte. Le sens glisse dans le langage, mais on ne peut jamais l'attraper totalement. Le récit se perd dans la réalité plurielle, dans une transformation irréversible et perpétuelle.
Trois pistes du sens.
* Devenir homme:
Jean-Jacques mène une quête initiatique, il doit se découvrir et devenir adulte. Pour arriver à Malpertuis, il doit franchir une série d'obstacles naturels (symboliques) - image du labyrinthe de la vie. Au centre de ce domaine se trouve la maison avec son espace central où se réunissent les personnages pour des rites étranges. Il vit ces événements sans les comprendre, il voit Euryale tuer Cassave. C'est la seule déesse qui a gardé intact son pouvoir car elle représente l'amour et la mort qui donnent identité à l'homme. Il cherche la vérité, mais il ne la connaîtra jamais , il ignore que ces êtres étranges sont des dieux, qu'il est fils de dieu, qu'il est aimé d'une déesse.
Cependant, lui le demi-dieu devient un homme, fait le choix des hommes. Le renversement se passe le jour de ses vingt ans (initiation au tabac, à l'amour): « Un homme de plus vit à Malpertuis, Dieu sait si nous en avons peu ». Nancy (sa sur) a compris: « Tu es tout autre », une voix dit : « La déesse pleure, on a volé la lumière à ses yeux et à son cur ». Cette initiation se passe dans une autre maison, au quai de la Balise. Il choisit le monde humain. Il mourra par les yeux d'Euryale, se sacrifiant pour les hommes, afin de ne pas se soumettre au projet monstrueux de son oncle Cassave : l'unir à Euryale pour créer une race dominatrice de nouveaux dieux.
* L'affrontement des dieux antiques et du Dieu chrétien, (avec des interférences des croyances du Moyen Age) :
Des dieux meurent parce qu'un autre Dieu est né. Au-delà des relations sombres et violentes des dieux antiques, nous apercevons leur réminiscence dans le monde du 19è siècle. Ils n'ont pas disparu de l'esprit humain, qui s'est plu jadis à les créer dans leur perfection merveilleuse ou diabolique. Ils meurent lentement, parce qu'un autre Dieu, différent fondamentalement, grandit dans les explications que l'homme se crée pour comprendre ou maîtriser le mystère qui l'entoure. L'auteur ne dit pas grand chose de ce nouveau Dieu, mais l'approche par des détours propres à l'imaginaire de l'homme: légendes du moyen âge, les moines et leur mystère, les anges..
Le premier affrontement se situe à la Noël (naissance d'un autre Dieu) . Les dieux réunis ont peur de cette fête sans savoir pourquoi. Ce jour-là pas de festin pour les dieux. Les dieux morts chantent le Cantique des Cantiques: chant d'amour, victoire de Dieu sur les dieux.
Le deuxième affrontement se passe lors de la Chandeleur : fête de la lumière. C'est l'affrontement de la lumière pour la lumière. Prométhée a volé le feu aux dieux pour le donner aux hommes. Les hommes ont du mal à garder cette lumière qu'un dieu souffle toujours, malgré son protecteur perpétuel.
Le Dieu nouveau est lumière: on ne doit plus la voler, il l'a donnée aux hommes, il se donne lui-même car il est la lumière : le magasin est ébloui de lumière, il n'y règne pas les ténèbres des dieux antiques.
Il y aura fusion entre les deux croyances en finale de l'affrontement, puisque Eisengott (Zeus) s'identifie à l'image traditionnelle de Dieu , il n'a plus peur du signe de la croix. Jean-Jacques, fils de dieu, se sacrifie pour la vérité et sauve les hommes des puissances infernales, tout comme le Christ, fils de Dieu, qui sest sacrifié par amour pour les hommes. Ici c'est à la fois victoire de Dieu sur les dieux antiques et sur les croyances superstitieuses du Moyen Age (le loup-garou.). Seul Zeus reste en vie par la grâce de Dieu parce qu'il aime les hommes
* La science impuissante :
Une autre puissance écrase les dieux antiques et demeure impuissante face au Dieu chrétien : c'est la force de la science par laquelle l'homme croit pouvoir devenir dieu. Cassave, grand savant, par sa science, a transformé les dieux en esclaves, mais sa puissance scientifique ne fut pas assez forte pour le porter à la divinité, il n'est le maître que de pitoyables pantins. La science ne peut donc pas tout contrôler et certainement pas l'essentiel. Le Dieu chrétien est vainqueur, car Cassave doit mourir comme le marque son destin d'être humain. Les dieux seront libres, livrés au monde humain : à ses fantasmes, à ses rêves ou à sa foi.
Dominique Deffense
LE NOM DE LEFFROI
Les écrivains puisent souvent dans lunivers matériel lembryon -tel paysage, tel village, tel chemin, telle maison...- qui, sous leffet dune imagination vagabonde, deviendra lêtre même de loeuvre, son intrigue, son atmosphère. Dans cet appel à la vie, le nom a une valeur prégnante: il ajoute à la fécondité de la création.
Evoquant des souvenirs de jeunesse, Jean Ray a signalé la longue gestation de son roman: "A la base de tout, il y a assurément cette vieille maison, hôtel délabré et insalubre, où les parents habitaient, dans le Ham, et sur le pas de laquelle Wautje Dimez, la vieille conteuse dhistoires, nous serinait à longueur de soirée des contes à faire se dresser les cheveux sur la tête de Belzébuth lui-même..."(1)
Maison hantée, Malpertuis hante le récit. Dans un quartier sinistre, elle se signale par dinquiétants décors où lon distingue la présence du renard "à la figure chafouine et perverse" entouré de "guivres et de tarasques": limmeuble est une ancienne demeure monacale de sinistre réputation. "On se trouve devant une bâtisse dinvraisemblable laideur, de pierres niellées, pourries de lèpre, aux fenêtres crevées, à la toiture béante: les ruines de lancien couvent des Barbusquins..." Le seuil franchi, les impressions se confirment: "Les hommes qui sendorment dans ses immenses chambres soffrent au cauchemar, ceux qui y passent leurs jours doivent shabituer à la compagnie dombres atroces de suppliciés, décorchés vivants, demmurés, que sais-je encore?..."
Le narrateur signale que le nom est celui que les clercs ont donné à lantre du goupil dans le Roman de Renart, et il ajoute: "Je ne mavance pas trop en affirmant que cela signifie la maison du mal, ou plutôt, de la malice. Or, la malice est, par excellence, lapanage de lEsprit des Ténèbres..." Au moyen âge, Maupertuis ou Malpertuis désigne en effet un mauvais lieu, un "trou mal famé". Létymologie latine (2) réside dans le verbe de langue vulgaire pertusiare issu du classique pertundere (donner un coup pour percer). Il ne sest conservé -sous sa forme substantive- que dans la toponymie pour signifier un passage, un col de montagne par exemple. Les vacanciers que tente le soleil catalan connaissent bien Le Perthus, point de passage entre les Albères et le massif du Canigou... Mais ce détail touristique nous éloigne des "charmes noirs de Malpertuis", de ces "tristes lieux défendus par tant de laideur". A lui seul, ce nom au passé chargé nous parle de maléfices. Seuil inquiétant dun roman ou dun drame. Frissons garantis.
André Leick
(1) J.P. de Beaumarchais et D. Couty, Dictionnaire des oeuvres littéraires de langue française, p.1190.
(2) On sattendrait à ce que le mot "pertuisane" (grande lance dautrefois), dérive lui aussi de ces verbes, à cause de la fonction perforatrice de lustensile. Il nen est rien: il vient du nom italien "partigiana" transformé en "pourtisaine", mais vraisemblablement déformé pour des raisons de ressemblance linguistique.
En direct de la cabine
19h30 ... Vérification de tous les circuits. Rien à signaler.
20h05 ... Extinction de la cabine : nous nous penchons sur les pupitres de commande. Coup d'oeil furtif en salle.
20h13 ... Extinction de la salle. Silence. Les gorges se nouent, les mains deviennent moites. Lumières tamisées; une partie du décor prend vie, un acteur apparaît. C'est parti !
A chaque représentation, le même rituel pour l'équipe du "bocal" pour enfin assister à ce qui n'existait que sur plans.
Tant d'équipes sur le pont depuis des mois; nous avons dû attendre la mi-janvier pour nous lancer effectivement dans l'aventure. Une attente parfois frustrante pour les "nouveaux", mais l'heure n'est plus à la discussion ou aux regrets, il s'agit de suspendre quelques 80 projecteurs tout en maîtrisant un sabir technique pas toujours évident: PC1000, Shouko, multipaires, découpes, Fresnel, par36, ... Le montage tient parfois du cirque: numéro d'équilibriste, de voltigeur voire de contorsionniste pour attacher, tirer discrètement des câbles ou orienter correctement le projecteur sans abîmer le décor; et les clowns ne sont pas en reste: heureusement.
Après le montage, viennent tous les réglages. Et, quelques heures et jurons plus tard, tout semble à sa place. Nous terminons fourbus mais satisfaits; encore faut-il pouvoir quitter les lieux; fâcheux souvenir du "Malade imaginaire" où l'équipe technique et le metteur en scène se sont vus prisonniers des lieux avant qu' "Her Kappelmeister", alerté par le bruit, ne nous délivre notre bon de sortie.
Enfin les répétitions: nous nous essayons au pilotage et tentons de nous accorder avec le son et les déplacements d'acteurs. Il faut scrupuleusement suivre le texte, tout en gardant un oeil sur la scène, et synchroniser le tout. Un de nos moments favori, l'imagination et le délire prennent le pouvoir pour accoucher d'un autre vocabulaire, nettement moins technique: les "top". Illuminer l'orchestre devient le top fanfare; un ballet se mue en top trolls; une réplique soulignée, un top coin-coin", ...
Mais trêve de bavardages: la façade de Malpertuis s'illumine, faisons place à l'univers de Jean Ray ...
L'équipe technique
Autre défi ...
Juin 2000 : on me propose de présenter une exposition sur Jean Ray, avec mes élèves de 3ème Arts d'expression.
Un beau projet! Oui, mais ... Comment approcher Jean Ray et son oeuvre avec des élèves de 14 ou 15 ans? Comment motiver ces mêmes élèves qui me sont pour la plupart inconnus en ce début d'année? Comment monter une exposition d'une telle envergure quand on n'est ni scénographe, ni sponsorisé, ni même encadré par une équipe technique? Comment défier le temps puisque nous n'avons que trois mois à raison de trois heures de cours d'Arts d'expression par semaine pour réaliser ce projet? Comment intéresser un large public composé de visiteurs les plus divers: les élèves du collège, leurs parents, leurs professeurs mais aussi des écoles bruxelloises et des spécialistes de la littérature?
Pourtant, en cette rentrée des classes, il me fallait y croire et proposer timidement à mes jeunes élèves de relever le défi ... Et la magie s'opéra! Celle-là même qui redynamise tout enseignant momentanément perplexe: l'enthousiasme d'une classe à l'idée de réaliser un projet quel qu'il soit! Un contrat de confiance était signé entre nous, nous ne pouvions plus faire marche arrière.
Nous voilà donc lancés dès la seconde semaine de septembre dans ce fameux projet de "l'expo Jean Ray". Il va sans dire que la plus grande partie de notre travail est théorique: il faut connaître Jean Ray, aborder son oeuvre, analyser quelques textes mais aussi nous intéresser au genre fantastique.
Ainsi, commençons-nous par lire et analyser Lord John, un roman de J.B. Baronian en hommage à l'écrivain gantois. La lecture suivante est celle d'un Harry Dickson et, parmi les dizaines de titres de la série, nous choisissons de lire Le fauteuil 27 car on s'y trouve plongé dans l'univers du théâtre, ce qui nous donne un avant-goût de l'atmosphère de la pièce du collège en préparation: du mystère, quelques frissons ... Cet étrange climat nous stimule à étudier plus en profondeur le genre fantastique en littérature flamande en essayant de comprendre pourquoi la culture flandrienne s'épanche presque naturellement dans ces ambiances singulières. Dans un deuxième temps, nous varions nos sources et nous nous laissons emporter dans l'univers angoissé de Guy de Maupassant, d'Edgar Allan Poe, pour terminer dans l'épouvante avec le Dracula de Bram Stoker. La littérature fantastique nous passionne mais elle ne peut nous dévier de celui qui est au centre de nos préoccupations: Jean Ray.
Alors, selon les motivations de chacun, des cellules de travail vont se former. Cette façon de fonctionner nous paraît plus efficace. Six groupes se constituent et se répartissent les sujets suivants :
1. Jean Ray et la ville de Gand.
2. Organisation d'une visite guidée à Gand.
3. La poésie de Jean Ray.
4. Les contes du Whisky de Jean Ray.
5. Le fantastique dans l'oeuvre de Jean Ray (réalisation d'une enquête sur l'écrivain).
6. Le personnage d'Harry Dickson.
Nos recherches sont enrichies par le spectacle de la 4ème Arts d'expression, La sotie de l'araignée, petits contes d'épouvante de Jean Ray, par une conférence (questions-réponses) de J.B. Baronian invité au collège, par une visite de l'exposition "Les écrivains et la ville" dans l'objectif d'affiner notre regard sur une scénographie possible, par la visite de la ville de Gand pour son atmosphère pittoresque et son très beau musée du folklore flamand, par une lecture d'extraits de la biographie de Jean Ray due à J.B. Baronian, par un aperçu de Malpertuis, du Cercle de l'épouvante, du Grand nocturne de J. Ray et par des informations glanées sur le site internet au nom du même écrivain.
En ce début du mois de décembre, à la veille des examens, nous possédons un dossier fourni à propos de l'auteur et de son oeuvre, des reportages "photo" et" vidéo" réalisés à Gand, des croquis d'élèves relatifs à la poésie de J.Ray, et aussi des idées concrètes concernant la réalisation de l'exposition. Unanimement, nous envisageons d'entraîner les visiteurs dans la maison de Jean Ray. L'idée est fascinante mais nous nous donnons rendez-vous après les vacances de Noël pour concrétiser ce rêve! ... Cependant, les élèves concepteurs de l'exposition liront pendant ces mêmes vacances un autre ouvrage de J.Ray signé John Flanders : L'île Noire. L'objectif étant une spécialisation accrue!
En conclusion, l'exposition est loin d'être sur pied. Pourtant, nous avons l'impression d'avoir réalisé l'essentiel du travail: une recherche littéraire, un travail de groupe, une implication totale dans un projet.
Nous vous souhaitons, d'ores et déjà, une agréable visite.
Décembre 2000
Dominique Tricot, pour ses élèves de 3ème Arts d'expression
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