CSPU
Ecole Secondaire
Maternelle et Primaire
Centre College Saint-Pierre
Chorale
Theatre
Association des Parents

LA FERME DES ANIMAUX
Distribution.

"Animal Farm", Richard Dams.

"Alain Baenst et Luc Collin répondent de leurs actes", propos recueillis par André Leick.

"Genèse d'un chef d'oeuvre",Patrick Hauwaert.

Le mot du Directeur.

"1937", Louis Bonkain.

"Des animaux comme personnages", Paul Ieven.

"Roger De Wael, disparu le 4 septembre 1999", Jean-Marie de Thier.

Article de "La Lanterne"

de George Orwell


DISTRIBUTION

Daphné ANSIAUX - Caroline BELVAUX - Imad BOUJEMAOUI - Yassin BOUZOUMITA Caroline BRASIL SANTANA - Stéphanie COLLETTE - Simon COPPOY

Nathalie CORALES - Olivier CROON - Gwendoline CUVELIER - Mizaëlle de le COURT

Floriane DE MUYTER - Bénédicte DEKEYSER - Caroline DELVILLE

Gabrielle DELLE VIGNE - Guillaume DELLE VIGNE - Marie-Sophie DIBLING

Amélie DIERCKX de CASTERLE Pamela DOMINGUEZ MAGAZ Julien DONEUXSarah DORMEUS - Alice FLORIVAL - Emeline FOUYA - Laurence GODBILLE

Alexandre GOYENS de HEUSCH - Adeline HAGE - Aurélie HAGEN - Aurélie HARRANG Alexandre HUBLET - Sonia JIMENEZ RUIZ - Alexandre JOOSTEN - Olivier JOOSTEN Tatiana JOSZ - Léonel KAZADI KALALA - Stéphanie KHOUZAM - Laurence KREEFT Laetitia LEBRUN - Florence LEEMAN - Vanessa LENA - Vincent LEROUX

Loredana LIVRIZZI - Jean-Baptiste LORENT - Aïda MAKUBI MANDALaurent MESTER - Virginie MINOT Marie MOULART - Soumin MOUNG

Rafaël MUNOZ GOMEZ - Stéphanie PAGANO - Giulia PETRILLO

Marie PILLART - Sorya PING KIM - Julie POTVIN - Maxime PROSSNITZ

Ana RAMIREZ CORREA - Vincent REGNAULT de BOUTTEMONT

Gaétane RONSMANS - Charles ROSE - Yasmina SERROUKH

Anne-Catherine SMAJDA - Carole WEYERS

Mise en scène : Luc Collin

Diction : Didier Kempeners - Jean-Marie de Thier - Claudine Cambier

CHORALE

Soprani : Antoine DEMOULIN - Romain VERBEEREN

Alto : Anthony VIGNERON

Ténors : Quentin BAIRE - Pierre DE BAERE

Basse : Stéphane COLLIN - Philippe FERNANDEZ

MUSICIENS

Christophe NOZARADAN violon

Alice LEROY violon

Sophie SUEECKERS violon

Fabrice DELHAYE violon

Roger VERBEQUE cello

Francis CHRISTOPHE tuba basse

Maxime BERLINGIN guitare basse

Gauthier de MAERE clarinette

Stéphanie NOLS flûte traversière

Philippe LAMBERT trompette

Serge BIBAUW guitare classique

Thomas DEMAEGD guitare classique

Pierre COLAIACOVO accordéon

Didier VAN UYTVANCK percussions

Serge BIBAUW percussions

Mathias HIRIART percussions

Olivier MILLS synthétiseur

Antoine HUMBEECK synthétiseur

Laurence DELLE VIGNE  piano

 

Composition et direction : Alain BAENTS

 

CHOREGRAPHIE

Anne HUBERT - Colette POLET - Bart ROGIER

 

COSTUMES

Danièle KHOUZAM - Colette POLLET - Doris RAMPELBERG

 

MAQUILLAGE

Francine BUCHET - Agnès GOFFIN - Danielle RIGUELLE - Firme TANDEM

 

ACCESSOIRES

Jean-Christian ANDERLIN - Anne LANDUYT - Doris RAMPELBERG

 

DECORS

Conception : Nicolas BONKAIN - Eric GERARD - Stéphanie PAGANO

Réalisation : Michel BACQ - François JONGEN - Didier Kempeners

Jean LAUVAUX - Raymond ROELANT - Pierre ROBIETTE

Philippe RONSMANS - Alain VAN HEMELRIJCK - Claude VOGLET

 

TECHNIQUE ECLAIRAGE

Conception : Didier VAN LANCKER

Réalisation : Guillaume de MARNEFFE - Bruno FALIZE - Didier KEMPENERS

Arnaud HANSET - Vincent LEROUX - Hughes LOHEST - Julien ROLAND

 

TECHNIQUE SON

Willy PAQUES

 

PROGRAMME

Michel BACQ - Louis BONKAIN - Dominique COPS - Richard DAMS

Danielle DE BOECK - Jean-Marie de THIER - Jean-Claude GEORGES

Paul IEVEN - André LEICK - Patrick HAUWAERT - Claude VOGLET

 

RESTAURATION

Association des Parents

 

BAR

Pierre-Paul VERSTAPPEN

 

COORDINATION

Luc VAN VOLSEM - Claude VOGLET


Animal Farm

C’est par une allégorie typiquement swiftienne que George Orwell nous propose dans Animal Farm sa "Trahison des Clercs".

L’essai de Jean-Claude Michéa , Orwell,Anarchiste Tory, nous a permis de dégager les traits essentiels de la vision de l’auteur.

Pour entrer dans la pensée d’Orwell il faut d’abord savoir qu’il doit sa conversion au socialisme à un séjour effectué à Wigan Pier, en 1936, et à la découverte qu’il y fit de la condition ouvrière. Elle ne doit rien à une quelconque lecture théorique en la matière. Elle se fit dans le vécu. C’est ensuite au cours de la guerre d’Espagne, dans le Barcelone de mai-juin 1937, qu’il vivra l’expérience du" socialisme réel" qui le confirmera dans son rejet du stalinisme. Ce sera pour lui le point de départ d’une longue réflexion sur le totalitarisme.

La signature du pacte germano-soviétique en 1939, lui révélant l’unité de tendance des régimes totalitaires, constituera une étape capitale dans sa prise de conscience du problème et indiquera clairement à Orwell son camp: la seule chance du socialisme démocratique sera finalement, à ses yeux, dans les démocraties libérales de modèle occidental, autrement dit, bourgeoises,empiriques, le seul lieu où le mot liberté a encore un sens.

Sa réflexion sur le totalitarisme aura l’originalité de vouloir démontrer que la dérive totalitaire est liée à celle du langage une fois que celui-ci dans son élaboration théorique d’un projet de société se déconnecte de la réalité vécue. Le discours idéologique lancé dans sa construction intellectuelle rigoureuse et implacable devient rapidement délire. La responsabilité de cette dérive incombe à la classe intellectuelle.

L’intellectuel peut à tout moment, par la logique de son activité, se déconnecter inconsciemment de l’objectivité sensible, être en rupture méthodique avec la réalité concrète. Seule la "common decency", ce que nous pourrions rapprocher de la notion de bon sens commun, empêche que le détour nécessaire par l’abstraction ne soit un envol définitif hors de la réalité matérielle.

A quoi, dès lors, doit-on attribuer cette rupture possible des intellectuels avec le réalisme spontané de l’homme ordinaire? A une inconsciente volonté de puissance. Dans une société qui ne reconnaît de valeur plus respectable que la valeur marchande, l’intellectuel du XXe siècle est d’abord un déclassé qui a tout perdu de son prestige du passé. L’intellectuel est ainsi amené à vivre les progrès d’un système qui l’humilie de façon structurelle. Sa haine de l’ordre établi se nourrit de la contradiction entre la conscience de ses propres capacités et l’indifférence que la société capitaliste lui manifeste. C’est donc, en somme, une volonté de puissance qui soutient ses refus. C’est dans l’appareil hiérarchisé des partis de gauche que cette ambition secrète pourra trouver satisfaction.

Dans cette optique, l’histoire du mouvement socialiste devient l’histoire de la prise en main progressive par des intellectuels "révolutionnaires professionnels" des mouvements spontanés d’une classe ouvrière qui se dressait contre l’injustice de l’ordre industriel. Mouvement qui trouve sa conclusion dans la confiscation du socialisme ouvrier, qui désire la justice, par le socialisme intellectuel, qui désire le pouvoir. Cette démarche est cependant loin d’être consciente. C’est à l’idéologie, par l’aveuglement qu’elle engendre, que revient le rôle de cacher à l’intellectuel ses motivations véritables. Il suffit pour cela qu’elle soit simplement "délirante", c’est-à-dire qu’elle fonctionne dans une parfaite indifférence à l’expérience vécue et déconnectée de la réalité. Si l’occasion est donnée à l’intellectuel de concrétiser son projet, il faudra que les événements se plient impérativement à son schéma théorique et non le contraire. C’est la voie ouverte aux pires abus.

Par la suite, l’orthodoxie codifiée dans une "langue de bois" permettra de larguer définitivement les amarres.

En conclusion, à partir du moment où des intellectuels, animés plus ou moins consciemment par leur désir de pouvoir , ont pu construire un appareil de parti se proposant de transformer la société selon les enseignements d’une idéologie indifférente au réel et matérialisée dans une langue de bois, toutes les conditions sont réunies pour l’aventure totalitaire.

Orwell considère, en effet, que l’intellectualisation du socialisme et sa traduction en langue de bois, constituent l’une des sources de sa perversion totalitaire. Le problème est donc fondamentalement linguistique. L’analyse du langage va ainsi investir progressivement le centre de sa réflexion sur le totalitarisme.

Selon Orwell, le monde intellectuel a tendance à s’enfermer dans un jargon qui se vide petit à petit de toute substance (le Standard English en Angleterre) par la généralisation d’expressions toutes faites qui deviennent à la longue de simples procédés destinés à s’épargner l’effort de penser. De plus, ce langage s’est coupé du langage simple et concret de ceux qui sont restés en contact avec la réalité physique : les travailleurs. Ce jargon "distingué" qui s’est ainsi anémié contient déjà en puissance la langue de bois dans la manière de s’exprimer de ceux qui détiennent une forme ou une autre de pouvoir. La langue de bois commence donc déjà en amont de l’idéologie totalitaire qui en achève tout simplement le processus dans son discours. Selon Orwell, le processus pourrait être poursuivi jusqu’au point où la langue ne serait plus en état de permettre la moindre pensée indépendante de la vérité officielle.

Le combat d’Orwell contre le totalitarisme se livrera dès lors sur le terrain du langage en opposant à la langue de bois le langage littéraire.

Dans la mesure où la "common decency" du prolétariat est la perception "émotionnelle" que quelque chose n’est pas juste, sa communication pose problème. Pour permettre à l’expérience préréflexive de se dire, Orwell proposera deux voies: d’une part une régénération de la langue par la création consciente de mots nouveaux , mais surtout, d’autre part, le recours à l’écriture littéraire. C’est-à-dire tout ce travail de formulation qui permet à la littérature, à la faveur de la polysémie des mots, de traduire, autant que faire se peut, la sensibilité intime de l’individu. Si les humbles s’expriment surtout par leur sensibilité, elle sera par conséquent la forme la plus appropriée pour présenter leur point de vue.

Animal Farm doit naturellement être lu comme une défense de la liberté individuelle et une exhortation à refuser toute forme d’oppression totalitaire. Il s’agit à ce propos de préciser le sens qu’Orwell confère au mot "liberté". Nous sommes loin de la conception sartrienne de la liberté présentée comme ce pouvoir métaphysique qu’aurait l’homme de "nier" toute situation, de "transcender" le donné, de " s’arracher" à tout ce qui est. Capacité représentant le fondement de la dignité humaine. Chez Orwell, le concept de liberté ne relève pas de cet imaginaire de l’ "arrachement", de ce combat héroïque de l’homme contre lui-même et contre la pesanteur du donné, mais au contraire du "lien" et de l’ "attachement" . Une liberté qui porte sur le choix de nos temps libres, de nos distractions, d’avoir un intérieur à soi..., sans que tout ceci nous soit imposé. Cette liberté est d’abord, pour chaque individu, une somme de fidélités et d’attachements composant notre univers personnel, qu’il s’agit de protéger et de partager. Elle doit être celle de pouvoir aimer, c’est-à-dire de s’attacher à des êtres, à des lieux, à des objets, à des manières de vivre. Nous retrouvons ici la "common decency", ce jeu d’échanges qui fonde à la fois nos relations bienveillantes à autrui, notre respect de la nature et, d’une manière générale, notre sens intuitif de ce qui est dû à chacun. Ce que l’on pourrait désigner en résumé par une "socialité primaire " dont le monde des humbles apparaît à Orwell comme le dépositaire privilégié.

Le socialisme d’Orwell est donc avant tout un effort pour intérioriser ces valeurs populaires et en diffuser les effets dans la société tout entière.

Ce genre de conception "petite bourgeoise" ne pouvait que l’exclure du clan des idéologues de la gauche pour qui il existe un sens de l’Histoire, c’est-à-dire un mouvement qui, passant par toutes les figures de l’aliénation et de la servitude, conduit l’humanité vers un progrès inéluctable. Toute action qui s’inscrit dans cette rationalité immanente à l’Histoire est donc légitime, elle n’a pas à être jugée bonne ou mauvaise selon sa conscience individuelle ou un code moral traditionnel : si elle sert la cause du progrès, elle est vertueuse. Et le progrès signifie la marche en avant vers une société sans classe et scientifiquement organisée, même si pour y arriver des destins individuels doivent être broyés et à fortiori les valeurs "petites bourgeoises" balayées.

Orwell, étranger à toute vision déterministe et à toute religion du progrès héritées du scientisme, ne pouvait que rejeter la conception de l’avenir tout comme celle du passé qui en découlent. Celle d’un avenir qui doit mener l’humanité à son bonheur, celle d’un passé dont il faut faire "table rase". Il ne pouvait que passer pour un hérétique aux yeux des défenseurs de l’orthodoxie marxiste.

Orwell, en effet, se refusera de considérer d’office la modernité comme une étape nécessaire du progrès. Il convient au contraire de l’envisager dans sa complexité afin d’en démêler ce qui émancipe l’homme et ce qui l’aliène et par conséquent ce qui du passé mérite d’être conservé ou non. Pas de jugement définitif sur le monde présent : s’efforcer d’en analyser les ambiguïtés, en dégager les processus de libération à soutenir, les parts du passé à conserver,voire à développer. Ce jeu qui consiste à distinguer les "bons et les mauvais côtés" de l’ordre actuel avait déjà été dénoncé par Marx pour être l’attitude critique typique de la "petite bourgeoisie", classe qui se définit par ses perpétuelles oscillations entre le Capital et le Travail. Attitude qu’il dénonçait déjà chez Proudhon. En bonne dialectique, ce sont là, en effet , deux moments inséparables dont chacun est le prix nécessaire de l’autre. D’où ces formules célèbres de Marx qui veulent que " l’histoire progresse toujours par le mauvais côté " et que le Progrès "soit semblable à ces idoles païennes qui ne peuvent boire le nectar que dans le crâne de leurs victimes ".

Par la perception de ce que la modernité forcenée de la vie pouvait avoir de destructeur de la liberté tout en l’ayant rendue possible et la réappréciation du passé qui en découle, Orwell cessait d’être "politiquement correct". Il poussa d’ailleurs la provocation jusqu’à se définir lui-même comme un "anarchiste tory" *, c’est-à-dire un anarchiste conservateur. Il fut dès lors mis définitivement au ban de l’intelligentsia de gauche de son temps.

Aujourd’hui encore ses écrits semblent toujours frappés du même ostracisme. Rares sont les oeuvres d’Orwell qui ont bénéficié d’une traduction française. On ne peut dès lors que saluer l’initiative récente d’une traduction en français d’une pièce majeure de son répertoire : La Ferme des Animaux.

Le spectateur se plaira à y reconnaître des allusions aux lendemains de la révolution russe de 1917, et notamment parmi les nombreux personnages, à Nicolas II (Mr Jones),Lénine (Vieux Sage), Staline (Napoléon),Trotsky (Boule de Neige), Stakhanov (Costaud), à la propagande (Bavard), , au peuple (les moutons), aux intellectuels (les porcs !), à la liberté (la chatte).

Richard Dams.


ALAIN BAENTS ET LUC COLLIN REPONDENT DE LEURS ACTES...

Le choix du spectacle de cette année s'apparente à un défi. Il s'agit d'une grande première. Jamais, en effet, une comédie musicale n'a été proposée au public du Collège. Les deux principaux responsables ont accepté d'évoquer cette rupture dans les traditions et la manière dont ils ont entrepris de la réaliser.

- D'où est venue l'idée de ce spectacle ?

Alain Baents : Le hasard a voulu que Monsieur le Directeur, Luc Collin et moi-même avions retenu ce titre parmi nos projets. Personnellement, j'ignorais l'existence d'une adaptation anglaise de cette oeuvre pour le théâtre. Mais dès que j'ai pu découvrir la toute récente traduction française de Danielle De Boeck, j'ai conçu l'idée d'un spectacle chanté et dansé avec la participation d'un orchestre. Luc Collin et moi, d'accord sur la formule, avons alors découpé le texte en scènes, danses et illustrations musicales.

- L'ampleur de la tâche ne vous a pas rebutés l'un et l'autre...

A.B. : Nous n'y avons pas réfléchi trop longtemps. Très vite, nous avons cherché des leitmotive pour assurer la cohérence. Il fallait absolument que la musique soit, mieux qu'une illustration sonore, un "acteur" à part entière. Nous avons donc procédé au "casting" dans cette perspective : un appel a été fait aux élèves musiciens forts de plusieurs années de pratique. Nous en avons retenu dix-sept. Puis, l'écriture musicale s'est faite en tenant compte de ces ressources humaines.

- A quelle sorte de musique le public peut-il s'attendre ?

A.B. : Il s'agit de mélodies simples au service du texte, c'est-à-dire respectant l'esprit de l'oeuvre et les intentions du metteur en scène. Vingt-cinq pièces musicales ont vu le jour en six semaines de travail quotidien. Un travail facilité dans une certaine mesure par l'emploi d'un logiciel de composition... Les moments musicaux font songer à des réalités très diverses : le ragtime, les negro spirituals, le cabaret des années 20, le rap, la ballade, etc. Les choix se justifient par le texte ou la mise en scène. L'ensemble souligne le caractère intemporel du spectacle.

- Tout cela demandait donc une préparation minutieuse...

A.B. : Rien ne pouvait être laissé au hasard, en effet. Ces quelques mois ont été bien occupés. Fin août, les partitions ont été remises à chacun pour déchiffrage. Ensuite, la mise en place s'est opérée en fonction des possibilités des uns et des autres, de la capacité à reproduire une mélodie pour ceux qui ne pouvaient lire une partition. La Chorale a fourni sept voix de renfort. Enfin, les répétitions individuelles et collectives ont abouti à une mise en commun. Ma collaboration avec Luc Collin n'a posé aucun problème : on peut parler de connivence ou de symbiose. Il est vrai que nous avions déjà travaillé ensemble à Saint-Pierre et en dehors du Collège.

Le moment est venu de céder la parole à ce partenaire privilégié... Comment le metteur en scène voit-il cette pièce et dans quel sens a-t-il travaillé ?

Luc Collin : La première chose que je voudrais signaler, c'est l'intérêt du Théâtre National pour notre projet. Danielle De Boeck, sa documentaliste attitrée, nous a confié une version française qui nous a permis de démarrer dans de bonnes conditions. Pour ce qui est de l'oeuvre originelle, il faut savoir que George Orwell se déclarait à la fois heureux de son succès et déçu de ce que le public n'y voyait qu'une présentation caricaturale de la révolution russe. En fait, le message devait avoir une portée universelle : toute démocratie porte en elle des germes de dictature et l'égalitarisme, où qu'il s'exerce, n'aboutit qu'à des échecs. Une récente version filmée, malgré les grands moyens développés, malgré la participation d'un Peter Ustinov, n'a pas convaincu les critiques parce que, encore une fois, la dimension historique n'a pas été dépassée. Nous avons donc décidé d'éviter cet écueil au Collège et de donner - autant que possible - au message d'Orwell sa vraie signification.

- La mise en scène s'est naturellement inspirée de cet aspect essentiel...

L.C. : Absolument. Nous avons travaillé à deux niveaux : Orwell accessible aux plus jeunes dans un spectacle de famille et Orwell perçu sous un angle philosophique ou sociologique. L'universalité chère à l'auteur, nous l'avons recherchée dans des musiques variées, au delà des repères temporels, dans une chorégraphie omniprésente, dans un décor échappant à toute tradition, dans des éclairages insolites et des costumes assez inattendus...

- Avez-vous songé à des masques pour ce drame animalier ?

L.C. : Nous avons renoncé aux masques d'abord pour une raison technique (il faut que le texte soit parfaitement compréhensible), ensuite à cause d'un choix dramaturgique (plutôt suggérer l'animalité que la montrer). Enfin, dans une optique anglo-saxonne, nous avons songé à une forme de participation du public. Mais je n'en dirai pas plus!

- Quelle est l'impression du réalisateur après tous ces mois de préparation ?

L.C. : Au départ, on se demande si une comédie musicale ne relève pas de l'utopie : les élèves ne sont tout de même pas des professionnels - ni dans le domaine de la comédie, ni dans celui du chant ou des instruments ! Les interprétations "live" avec orchestre supposent une concentration constante et une parfaite maîtrise du sujet. C'est un exercice de corde raide, même pour les figurants.... Eh bien, grâce au travail de chacun (je songe aux élèves pour qui cette activité s'ajoute aux contraintes scolaires, à mes collègues et aux parents bénévoles), grâce aussi à l'assistance précieuse du Théâtre National, ce rêve va prendre forme. Je ne peux, pour le reste, qu'abonder dans le sens d'Alain Baents : notre complicité est telle que, dès que je lance une idée, il y répond sur un clavier ! J'espère que cette conjuration d'énergies et de talents donnera de bons résultats.

La belle aventure va entrer dans sa phase ultime. Dommage que celui qui fut longtemps l'âme et la cheville ouvrière des fêtes du Collège ne soit plus là pour vivre ces grands moments... Quoique... Comme Michel Sardou parlant de son père absent et présent à la fois, on peut imaginer qu'il sera là, lieutenant de la Providence, dans ce fauteuil qu'il a loué pour l'éternité, pour applaudir du coin de l'oeil et, de temps en temps, s'amuser...

Propos recueillis par André Leick.


Genèse d'un chef-d'œuvre

Autant il est risqué de lier étroitement la vie d'un auteur à son œuvre, autant il nous faut déroger à ce précepte lorsqu'il s'agit de George Orwell et plus particulièrement de " Animal Farm ".

Éric Arthur Blair naquit le 25 juin 1903 à Motihari au Bengale – ce n'est que bien plus tard, en 1933, lorsqu'il fit publier son premier roman " Down and Out in Paris ", qu'il prit George Orwell comme nom de plume (du nom de la rivière Orwell qu'il chérissait tout particulièrement) ; il craignait en effet qu'une mauvaise réception de son livre n'hypothèque son avenir littéraire.

Issu d'une famille dont les membres embrassaient traditionnellement la carrière religieuse ou coloniale, Orwell aimait à définir avec humour la classe sociale à laquelle il appartenait comme " Lower-Upper-Middle-Class ", en d'autres mots, une classe sociale ayant toutes les prétentions de la grande bourgeoisie sans en avoir les possibilités financières. Il fut dès lors envoyé dans un internat pour enfants de bonne famille et décrocha par la suite une bourse pour Eton. Plongé dans un monde affreusement snob, profondément imbu de la supériorité de sa classe sociale, le jeune Blair ressentit de plein fouet l'iniquité du système d'enseignement britannique. " Je me sentais tout à fait en marge de cet univers dans lequel l'argent, les titres de noblesse, l'athlétisme, les habits taillés sur mesure primaient par dessus tout ", écrivit-il d'ailleurs bien des années plus tard.

Après Eton, il s'engagea dans la Police Impériale. Stationné en Birmanie, il fut à nouveau confronté à l'injustice et à l'oppression, mais cette fois-ci, il se retrouvait du côté de l'oppresseur. Ceci ne fit qu'accroître son irritation vis-à-vis du milieu dont il était issu et surtout vis-à-vis de celui qu'il avait côtoyé pendant ses études. Cinq ans plus tard, constamment tiraillé entre son devoir et sa conscience, il finit par donner sa démission pour vivre ensuite plus d'une année à Paris parmi les clochards, comme s'il avait voulu ainsi expier ses erreurs de jeunesse.

En 1936, son éditeur l'envoya dans le bassin minier anglais. Il fut vivement touché par la situation effroyable de ces hommes rudes qui, jour après jour, se tuaient à la tâche ou qui, pire encore, sans emploi crevaient littéralement de faim. À la suite de cette expérience, George Orwell devint un chantre fervent du socialisme tout en restant farouchement opposé aux socialistes britanniques dont il soulignait à l'envi les nombreuses contradictions.

En 1937, il se porta volontaire pour aller défendre la jeune République Démocratique espagnole de tendance socialiste. Celle-ci devait résister aux assauts d'un groupe de généraux utra-conservateurs, à la tête duquel se trouvait Francisco Franco. Cette longue et sanglante guerre civile le marqua à plus d'un titre. En arrivant à Barcelone, il fut d'abord ému par le sentiment de camaraderie et de respect qui régnait au sein de la milice socialiste. Orwell pensait alors que le socialisme à visage humain dont il avait si souvent rêvé prenait forme sous ses yeux. Ensuite, il fut profondément choqué par le sort encouru par ses compagnons de lutte. En effet, ils furent emprisonnés et exécutés – non pas par Franco et ses troupes, mais par leurs propres " camarades ", idéologiquement proches du socialisme soviétique. Ceux-ci leur reprochaient leur manque de loyauté aux idées communistes et ne souffraient aucun débat interne. Finalement, une fois revenu en Angleterre, après avoir été blessé à la gorge, il dut affronter l'incrédulité de ses camarades socialistes restés au pays. Ce n'était ni le moment ni l'heure de dire quoi que ce soit qui eût pu nuire au camp républicain.

Lui qui avait vécu l'injustice de près – que ce soit au cours de ses études ou en Birmanie, lui qui avait côtoyé la souffrance et la misère – que ce soit parmi les clochards ou les mineurs, lui qui s'était révolté contre sa propre classe sociale, lui qui avait profondément cru que le socialisme viendrait à bout de toutes ces iniquités, se rendait brutalement compte à quel point les idées les plus nobles pouvaient être détournées de leur objectif cardinal.

En novembre 1943, fort de toutes ces expériences, il se mit à rédiger " Animal Farm ".

Même si en écrivant cette fable, Orwell désirait certainement stigmatiser l'influence néfaste du mythe soviétique sur le mouvement socialiste occidental, il voulait avant tout - comme il le dit du reste lui-même dans la préface de l'édition ukrainienne de son livre - dénoncer " l'aisance avec laquelle la propagande totalitaire peut assujettir la pensée de l'intelligentsia occidentale ". Tout comme le fascisme avait été démythifié, il fallait que le socialisme soviétique le soit, pour laisser place au véritable socialisme démocratique auquel Orwell est d'ailleurs resté profondément attaché toute sa vie. Il est à souligner que bon nombre d'anti-communistes notoires ont usé et abusé du livre d'Orwell pour démontrer que le socialisme, sous quelque forme que ce soit, était inévitablement voué à l'échec, ce qui va radicalement à l'encontre de ce qu'Orwell a toujours pensé.

En outre, mû par son désir d'améliorer le sort des plus défavorisés, Orwell considérait la littérature plus comme un véhicule de sa pensée que comme une fin en soi. Dans un essai publié en 1946, " Why I Write ", Orwell dit " Lorsque je décide d'écrire un livre, je ne me dis pas ' Je vais écrire un chef d'œuvre '. Je l'écris par ce que je veux tordre le cou à l'une ou l'autre contre-vérité (…) je veux surtout être entendu ". Il ajoute un peu plus loin " Animal Farm fut le premier livre dans lequel j'ai essayé consciemment de faire rimer politique et esthétique ". Il est vrai qu'en créant une tension permanente entre le drame qui se déroule tout au long du récit et la succession de phrases courtes, incisives, d'une " simplicité implacable ", Orwell a dépassé la modicité du pamphlet politique associé à une époque déterminée, pour confiner à l'intemporalité et l'universalité du propos qui caractérisent tous deux les grands-chefs d'œuvre de la littérature mondiale.

Patrick Hauwaert


Le mot du Directeur

Madame,

Mademoiselle,

Monsieur,

Chers amis du Collège,

 Vous feuilletez ce programme, assez machinalement sans doute, dans le brouhaha général… J'en profite pour vous adresser ces quelques mots.

Il y a dix mois, à l'issue des représentations du Malade imaginaire de Molière, Alain Baents et Luc Collin m'ont parlé de ce fabuleux projet d'une comédie musicale. Il fallait - disaient-ils - profiter de l'expérience acquise et aller de l'avant. Ils étaient ambitieux. Pour nous, pour ceux qui relèveraient ce défi, pour le Collège. Et là, je ne pouvais que les encourager et les applaudir des deux mains. Il est en effet du devoir du directeur de favoriser quelques entreprises de qualité, révélatrices de nombreux talents et susceptibles de créer entre les membres de notre Communauté éducative enthousiasme et confiance. Saint-Pierre en a besoin.

Un énorme travail a été déployé depuis des mois. De nombreux apports ont enrichi le projet. Certaines collaborations dépassent le cadre scolaire direct. Ainsi, que soient ici remerciés Danielle De Boeck pour sa traduction-adaptation de l'œuvre d' Orwell, Nicolas Bonkain pour la conception du décor et Willy Paques pour sa précieuse aide et ses nombreux conseils sur le plan de la sonorisation. Merci aussi, et du fond du cœur, aux cent cinquante personnes - et j'en oublie sans doute - qui ont permis que nous soyons là, ce soir, pour assister à la création belge en langue française de La ferme des animaux d'après l'œuvre de George Orwell.

Parviendrons-nous à rendre justice à cette fable? Comme souvent en art, nous aimerions disposer de plus de temps, de plus de moyens, de plus de capacités… mais voilà ! Le moment est venu… Chacun des artisans de ce spectacle sait au fond de lui-même qu'un travail de création ne s'achève jamais. Ce spectacle témoignera d'une aventure que toute l'équipe aura menée avec passion, courage, audace, ambition et ténacité afin de réussir la rencontre d'un public, d'une troupe et d'une pièce peu banale.

Déjà, le chef d'orchestre va lever sa baguette, les instruments sont accordés, le cœur des comédiens bat plus vite, la magie du théâtre va opérer…

Alors, merci de votre présence, de votre amitié, de votre confiance et place au théâtre !

Claude Voglet

Directeur


1937

Poursuivi par le crachotement d’une Hotchkiss asthmatique, le chasseur franquiste vira sur l’aile vers les lignes nationalistes sous les quolibets des miliciens de la République qu’il avait pourtant sévèrement étrillés au cours de ses deux passages en rase - mottes. A peine l’aviateur italien ou allemand se fut-il perdu dans le soleil aveuglant de midi que l’ordre de relever morts et blessés cingla l’oreille du jeune combattant britannique que la peur avait fait se presser contre le flanc crayeux de la tranchée. La chemise collée au torse par la sueur, Georges se redressa en titubant. La guerre, la sale guerre qu’il menait avec ses camarades du P.O.U.M. ne ressemblait que fort peu à la noble croisade antifasciste prêchée par le gouvernement du président Négrin. Depuis son arrivée sur le front d’Aragon, les escarmouches avaient succédé aux coups de main, les attaques en règle aux offensives sans lendemain et à chaque fois son bataillon avait payé le prix fort. Qu’étaient devenus

Luis, l’électricien de Barcelone ; Pedro, le torero débutant mais prometteur à qui la révolte de l’armée d’Afrique avait fermé les portes des arènes ; Kurt, le Bavarois antinazi, qui avait baptisé Adolf, le verrat- mascotte de l’escouade ? Ils dormaient tous sous la terre rouge d’Espagne.

Ils étaient tombés au nom de l’égalité des hommes. Il en avait assez, le brigadiste Orwell :

la Pasionara avait beau lancer des appels enflammés à la résistance à outrance sur les ondes de la radio madrilène, en première ligne on était bien placé pour comprendre que son " No pasaran ! " relevait plus de la propagande pour Komsomols que du réalisme prolétaire, que l’édifice républicain réputé si solide, car cimenté du sang du peuple travailleur se fissurait, qu’il était au bord de l’écroulement. Si les phalangistes et les Maures du généralissime Franco y avaient ouvert des brêches, appuyés par les chars et les avions d’Hitler et de Mussolini, ses ennemis les plus dangereux,

George l’avait découvert peu auparavant, étaient intérieurs et prétendaient brandir la bannière de la classe ouvrière plus haut que leurs " frères " des autres formations de combat.

Le parti communiste inféodé à Moscou occupait, en effet, de plus en plus souvent l’avant de la scène et ses membres n’hésitaient pas à régler les différends qui les opposaient à des compagnons de route d’autres factions à coups de fusil. Staline et ses méthodes de voyou avaient fait des émules. Depuis quelque temps, des bruits alarmants en provenance de l’arrière couraient de casemate en fortin : dans les grandes villes encore aux mains du pouvoir légal les arrestations - surprises et les exécutions sommaires de " traîtres " se multipliaient et partout se renforçait le pouvoir des commissaires politiques pro-soviétiques. Comment tenir le coup face aux Tierços quand on risquait à tout moment d’être frappé dans le dos ?

" Il faudra qu’un jour on leur présente l’addition aux staliniens, soupira in petto notre soldat de fortune tout en vérifiant l’état de son Mauser, je m’y engage. Ils n’ont qu’à bien se tenir ! ". Il allait se pencher sur le copain qui gémissait à côté de lui, le bras gauche à moitié arraché par une rafale

de l’avion de chasse, lorsque l’artillerie adverse entra en action, pulvérisant en partie la position. Toute cette saloperie n’aurait donc jamais de fin.

 L. BONKAIN


Des animaux comme personnages

Des animaux qui parlent, est-ce si étonnant ? Plongez-vous dans vos souvenirs d'école et vous retrouverez peut-être, avec émotion, un récit d'Esope, que vous avez pris plaisir à traduire du grec ancien. Les paroles du loup vous reviennent à l'esprit, lorsque l'animal, décidé à dévorer l'agneau, invente toutes sortes de prétextes pour justifier son projet criminel et conclut en disant: Même si tu trouves de bons arguments de défense, je te dévorerai de toute façon. Esope aurait vécu au sixième siècle avant Jésus-Christ. Même s'il n'a pas écrit tous les petits récits assortis d'une morale qu'on lui attribue, il fut sans doute un conteur génial, aimant à faire parler la gent animale.Des témoignages anciens font de lui un esclave et racontent les épreuves qu'il dut affronter pour être affranchi et se défendre contre des accusations calomnieuses. Les habitants de Delphes l'auraient finalement exécuté pour sacrilège afin de se venger de ses railleries.

A supposer que l'antiquité grecque soit un peu brouillée dans vos esprits, vous vous rappellerez certainement l'un ou l'autre récit du fabuliste Phèdre, qui adapta en vers latins les fables qui ciculaient au premier siècle de notre ère sous le nom d'Esope. Ici c'est peut-être la voix du lion qui résonne encore à vos oreilles, au moment où il se met à partager en quatre la proie qu'il a prise à la chasse avec l'aide d'une vache, d'une chèvre et d'une brebis. Il s'attribue les trois premières parts, parce qu'il est le lion, le plus fort et le plus puissant; quant à la quatrième, Malheur à celui qui y touchera ( Malo afficietur, si quis quartam tetigerit ). Phèdre fut aussi un esclave; il vécut comme affranchi dans la maison d'Auguste. On raconte qu'il s'attira par ses écrits la colère de Séjan, ministre de l'empereur Tibère, et qu'il eut à subir quelque punition inconnue.

Bon ! Les auteurs latins ne sont plus très frais dans les mémoires! Passons alors au Moyen Age et à une épopée animale qui est une satire du monde chevaleresque et courtois. L'oeuvre porte le nom de son héros, un goupil. Dans Le roman de Renart, enfin, la force brutale du loup , Ysengrin, et la puissance du lion, Noble, sont vaincues par l'intelligence du plus rusé des animaux. Pris au piège au fond d'un puits, Renart fait croire à Ysengrin qu'il est au paradis, un endroit qui n'est pas ouvert à tous et surtout pas à lui, le loup qui a toujours été tricheur, félon, traître et trompeur. Quelle impertinence ! Pour y accéder, Ysengin devra se repentir et s'installer dans la balance du bien et du mal. Le loup bondit dans le seau qui descend au fond du puits, faisant ainsi remonter le seau d'en bas, où est assis le goupil triomphant. Plus de vingt auteurs ont participé à la rédaction des différentes "branches" de cette oeuvre où, grâce aux animaux, toute la société et la justice féodales sont soumises à de vives critiques.

Si le Moyen Age reste, lui aussi, un peu obscur, votre dernière chance sera le dix-septième siècle. Là, c'est un cadeau! Vos plus jeunes années ont été bercées par les fables de Jean de la Fontaine. Et pourtant quelles horreurs se cachaient dans de si beaux vers. Le lion a retrouvé sa toute-puissance; avec l'aide de ses abjects courtisans, le renard et le loup, il n'hésite pas à mettre à mort le plus faible de l'assemblée, l'âne, ce maudit animal, ce pelé, ce galeux d'où venait tout le mal. Quelle peinture féroce de la cour et des injustices sociales. Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. Et, pour ce faire, est-il une meilleure ruse que de faire parler des animaux ? "Les puissants du jour, écrit M. Soriano, sont réduits à l'impuissance, car se fâcher reviendrait à avouer qu'ils se sont reconnus". Pourtant, comme ses prédécesseurs, notre fabuliste français ne fut pas épargné : il fut poursuivi par la rage de l'influent Colbert.

Ah ! La Fontaine, vous vous en souvenez, vous avez repris confiance en vous! Des titres, des noms d'auteurs reviennent à votre bon souvenir. Vous me parlez, dans le désordre, du Petit Chaperon rouge et du Chat botté, du Livre de la Jungle et des Contes du Chat perché, vous vous rappelez certains Dialogues de bêtes de Colette ou une page de Genevoix, vous revoyez des personnages de Walt Disney et repensez aux aventures de Babe le cochon… Mais, arrêtons, il est temps à présent. Entrons voir ce qui se passe dans cette Ferme des animaux. Sachons de quoi il retourne, car je connais un certain rat qui ne manquera pas de nous en parler dans le prochain Courrier de Saint-Pierre.

 Paul Ieven


ROGER DE WAEL

disparu le 4 septembre 1999

Il y a de grands hommes qui sont plus grands que les grands et qui ne redoutent pas l’oubli injuste des générations : ce sont les serviteurs de l’ombre qui se sont confondus, par leur humilité, à l’histoire de leurs semblables. A eux revient la place silencieuse de nos propres pensées. A eux revient l’héritage qui fructifie. En eux, l’avenir trouve ses vrais fondements…

Parmi les artisans du Collège qui furent nos Maîtres, l’abbé De Wael consacra au théâtre une large part de ses compétences et de ses dons. La pièce de ce soir, parce qu’elle est un spectacle musical (et une création sous bien des aspects) lui aurait permis de savourer le plaisir intense de la scène, telle qu’il la concevait : un exercice virtuose, implacable dans ses exigences, par lequel l’acteur devient un personnage qui est lui-même au terme d’une longue errance de difficultés vaincues et de temps aboli.

Cette discipline restait cependant inséparable, dans son esprit, d’un objectif primordial : plaire. Les classiques ne disaient rien d’autre et Roger De Wael rencontrait spontanément la démarches des Comédies-Ballets du XVIIme siècle ou des oeuvres à grande machinerie et à multiples tableaux, héritées du romantisme. C’est là qu’il a si judicieusement anticipé l’ouverture de l’Ecole aux activités de culture et de formation de la sensibilité. C’est dans son sillage - où il n’était permis que de rire et de servir - que de très nombreux élèves ont gagné en assurance et en curiosité, associés en outre à tous les travaux de la scène : le décor, le son, la machinerie, l’éclairage, voire les costumes. Ni le trou poussiéreux du souffleur, lieu redoutable et harassant s’il en fut, ni les jongleries dans les cintres pour quelque pluie de bonheur, n’ont échappé à leur apprentissage. Le cabotinage était proscrit comme une lèpre et, la représentation terminée, les acteurs ne pouvaient retrouver leurs parents et amis que parfaitement rendus à leur état civil…

Jamais Roger De Wael n’apparaissait en scène, même lorsque le public réclamait qu’il vînt saluer. Jamais il ne se mêlait aux réjouissances qui terminaient la soirée.

Un soir, cependant, dans la Revue des Professeurs imaginée par André Remy et à près de soixante-dix ans, on le vit ouvrir le spectacle par un incroyable numéro de mime-dansant. Son succès fut immense. Mais, derrière le masque enfariné qu’il avait choisi, personne ne soupçonna que ce fût lui.

De tous les absents qui ont fait le Collège, il est aujourd’hui le plus présent de tous.

 

J.-M. de Thier


"La Lanterne" / Samedi 5 et dimanche 6 février 2000/ Bruxelles culture

UCCLE Le collège Saint-Pierre fait son théâtre

La Ferme des animaux en comédie musicale

Le collège ucclois présente le nouveau spectacle de ses élèves, inspiré de l'oeuvre visionnaire de George Orwell

 

Le collège d'Uccle semble vouloir concurrencer les productions des prestigieux théâtres bruxellois. La pièce de cette année sera une comédie musicale rassemblant 19 musiciens et une soixantaine d'acteurs. Une musique composée et dirigée par Alain Baents, tandis que l'on retrouve à la mise en scène, Luc Collin. Décidément, tout cela est très professionnel...

 

Le théâtre dans ce collège d'Uccle est une tradition. En effet, depuis 1949, une grande série de pièces a été montée, du Petit prince aux Fourberies de Scapin, mais on peut encore ajouter à ce long palmarès Cyrano de Bergerac et Le Bossu... Plus encore, quelques grandes figures du spectacle belge sont passées par le collège Saint-Pierre. Pur produit du hasard ou pas, toujours est-il que Gérard Corbiau, Michel de Warzée, Natacha Regnier ou encore Philippe Volter ont usé leurs fonds de culottes sur les bancs de ce collège. Bref, ' art du jeu n'est plus à inventer à Saint-Pierre.

 

Cinquante acteurs

 

Quant à ce nouveau spectacle, La Ferme des animaux, il aura fallu presque une année de travail pour, enfin, le présenter au public. Il est vrai - que le pari de cette année était de taille: une comédie musicale composée par un professeur du collège et une mise en scène qui concerne plus de 50 jeunes acteurs «Quand j'ai découvert la toute récente adaptation française de Danielle de Boeck, du Théâtre national, j'ai conçu l'idée d'un spectacle chanté et dansé avec la participation d'un orchestre. Luc Collin, le metteur en scène, et moi, étions d'accord sur la formule. Nous avons alors découpé le texte en scènes, danses et illustrations musicales>>, explique Alain Baents, le compositeur de la musique.

 

Une musique. pour le moins hétéroclite puisque on pourra entendre du ragtime, le style cabaret des années 20, des ballades et du rap . Pour représenter les animaux de la pièce, par contre, on peut se demander quelle technique a été utilisée. «Nous avons renoncé aux masques, d'abord pour une raison technique car il est important que le texte soit compréhensible. Ensuite, c 'est un chois dramaturgique; nous avons, en effet, préféré suggérer l'animalité plutôt que de la montrer. Enfin, dans une optique anglo-saxonne, nous avons songé à une forme de participation du public. Mais je n 'en dirai pas plus--.» ajoute, mystérieux, Luc Collin, metteur en scène.

 

Critique du totalitarisme

 

Le choix de la pièce n'aurait pas pu mieux convenir à cette période où l'Europe déterre les vieux démons du passé. En effet, George Orwell, à travers son histoire animale, nous met en garde sur la dérive totalitariste que peut connaître tout régime démocratique. Une dérive qui est liée au langage, lorsque ce dernier ne correspond plus à la réalité... Ou en d'autres mots lorsque le langage devient mensonge. Orwell va plus loin, en accusant les intellectuels de cette dérive. Des têtes pensantes qui par la logique de leur activité, finissent par oublier la réalité du monde.

 

L'histoire commence un 21 juin, en Angleterre, lorsqu'a lieu la révolte des animaux Les cochons dirigent alors le nouveau régime; Boule de Neige et Napoléon, cochons en chef affichent le règlement: Tout ce qui est sur deux jambes est un ennemi. Tout ce qui est sur quatre jambes et qui possède des ailes est un ami. Aucun animal ne portera des vêtements. Aucun animal ne dormira dans un lit Aucun animal ne boira de l'alcool. Aucun animal ne tuera un autre animal Tous les animaux sont égaux.. Mais il y en a qui sont plus égaux que d'autres!» écrit Orwell- Face à la remontée de la marée brune à la pensée pestilentielle, La Ferme des animaux, apparaît comme un appel à la réflexion et à la prudence.

 

Pierre SCHONBRODT

La Ferme des animaux de Georges Orwell: les 11, 12, 17 18 et 19 février au collège Saint-Pierre- Le prix des places varie entre 350 et 400F

Réservations: 375.18.33.